La période de 40 ans qui nous intéresse pour étudier les représentations de saint Jean à Patmos où figure le diablotin renversant l'encrier, permet de voir comment sont composées ces premières scènes. Nous nous bornons à publier les scènes avec un fond d'image carroyé ou uni, au moment où les paysages naturels sont en passe de venir remplir l'enluminure. Deux exemples complètement archaïsant viennent compléter le tableau.
Avant 1400
L'enluminure qui a mis en scène en premier le diablotin est celle d'une Bible Historiale réalisée à Paris ca.1380. Le diablotin se tient debout quittant l'île après avoir renversé l'encrier ; il regarde saint Jean et son aigle qui ne se sont pas aperçus du méfait. La mer est agitée.
Saint Jean à Patmos, Bible Historiale, Paris ca 1380, Baltimore (Maryland, USA), Walters art museum, W 126 folio 195v
Une autre scène des années 1390, met aussi en scène le diablotin debout, mais cette fois-ci devant saint Jean. Il tient l'encrier qu'il renverse de la patte droite tandis que la gauche tient le calemart (l'étui à plumes). La mer est remplie de poissons et les arbres sont nombreux. L'aigle est absent de la scène.
Saint Jean à Patmos, Paris (?), vers 1390, Laubach Lahn-Dill-Kreis, Schlossmuseum, Bibliothek
Avant 1402, la scène se retrouve dans une autre Bible Historiale, et non pas des moindre, celle offerte par Raoulet d’Auquetonville au duc Jean de Berry. Elle a été rédigée par Guiart des Moulins et Saint Jean à Patmos a été peint par le Maître du Couronnement de la Vierge (actif à Paris entre 1399 et 1405) en collaboration avec le Premier Maître de la Bible Historiale de Jean de Berry (actif à Paris entre 1390 et 1400). La scène reprend le modèle précédent où le diablotin est à côté de Jean. Mais ici, le saint ne le voit pas car la composition fait que l'évangéliste est beaucoup plus grand que le diable. D'autre part, ce dernier est positionné sur le bord gauche de l'île. comme s'il venait d'enjamber la berge. Le phylactère crée aussi une distance entre eux deux. Notez le fond carroyé or, bleu, bordeaux, fleurdelisé et l'île entièrement entourée d'eau. Notons que l'aigle est absent de la scène. L'enluminure est une vignette sur une colonne de la page.
Saint Jean à Patmos, Bible Historiale de Jean de Berry, Maître du couronnement de la Vierge, Paris, 1395-1400
Paris, BnF français 159 folio 531
1400-1420
Au début du XVe siècle, nous trouvons une scène à fond peint en bleu et en or. C'est la première scène où l'on voit le diablotin en l'air, la tête en avant et les jambes en haut, comme en apesanteur. L'aigle et saint Jean ne le voient pas renverser l'encrier. Le manuscrit est une traduction de Jean de Vignay de la Légende dorée de Jacques de Voragine. Il a été enluminé là encore par le Maître du Couronnement de la Vierge. L'aigle est de nouveau présent. Les protagonistes : Jean, l'aigle et le diable sont savamment mis en valeur en grisaille sur un une scène colorée en bleu et vert. L'or ajoute une note brillante sur le fond et les nimbes. L'enluminure est là aussi une vignette sur une colonne de la page.
Saint Jean à Patmos, Légende dorée de Jacques de Voragine traduite par Jean de Vignay, début du XVe siècle,
Maître du Couronnement de la Vierge, Paris, BnF français 242 folio 18v
En 1408, ce sont le Maître de Boucicaut (actif à Paris dans le premier quart du XVe siècle) et le Maître de Bedford (actif à Paris dans la première moitié du XVe siècle) en association qui élaborent un Livre d'Heures avec une page ayant une enluminure principale la scène de saint Jean à Patmos mais la scène ne figure pas le diablotin (Oxford, Bodleian, Douce 144 folio 1r). Les marges sont richement composées de personnages. Le fond est peint en rouge avec des rinceaux en or.
Vers 1410, ce sont le Maître de Boucicaut et le Maître d'Egerton (actif à Paris entre 1405 et 1420), qui travaillent là un autre Livre d'Heures ayant pour scène saint Jean à Patmos mais cette fois-ci avec un diablotin. C'est dans une enluminure principale que la page se compose avec dans les marges, trois hybrides anthropomorphes. Là encore, le diablotin volent dans les airs. Il tient une canne à 2 crochets. C'est la première scène où l'on voit cet instrument. Le fond est là aussi rouge avec des traits en or formant des carrés. Les bords sont rectangulaires.
Saint Jean à Patmos, Livre d'Heures, Maître d'Egerton, Paris, 1410
The J. Paul Getty Museum, Los Angeles, Ms. Ludwig IX 5, folio 13
Dans les années 1420, la scène de saint Jean à Patmos avec le diablotin va aller dans la marge pour cet exemple unique et archaïque ressemblant à celles que nous venons de voir, mais sans le fond. Il s'agit d'un Livre d'Heures. Le diablotin ailé est situé tout à côté de Jean, derrière lui qui ne voit pas le méfait. L'aigle est présent dans la marge supérieure.
Saint Jean à Patmos, Livre d'Heures, 142-?, Leeds, University Library, Brotherton Collection MS 1 folio 13r
1440
En 1440, nous trouvons une scène de saint Jean à Patmos avec le diablotin dans la scène d'intérieur d'une Bible portative. Le manuscrit a été écrit à par Jean Comte de Vuarmarens, curé de Billens dans le canton de Fribourg (en Suisse). La miniature est assez particulière pour la publier ici. L'île est absente et le diablotin saute pour attraper l'encrier que tient l'aigle dans son bec. Devant le fond doré à la feuille d'or, se trouve un rideau rouge-orangé orné de motifs dorés. Notez l'encadrement marginal de la colonne où figure la scène enluminée.
Saint Jean, Bible portative, écrite dans le Comté de Fribourg en 1440, Sion/Sitten, Médiathèque Valais, RCap 243 folio 377v
Détail de l'image ci-dessus
En 1440-1445, nous retrouvons cette disposition en colonne avec une marge qui l'encadre dans le Livre d'Heures de Margaret Beaufort, réalisé en France (Je n'arrive pas à voir si le texte est sur deux colonnes). La scène se passe ici sur une île mais le fond est archaïsant avec du rouge et des rinceaux or. Le diablotin est sur le bord de l'île derrière le saint. L'aigle et Jean ne voient pas le méfait. Chose rare, la scène est une initiale historiée I.
Saint Jean à Patmos, Livre d'Heures de Lady Margaret Beaufort; France, c.1440-5
Saint John's college University of Cambridge MS N.24 folio 13r
Nous avons vu la scène de saint Jean à Patmos avec un fond plat, occuper une vignette, une enluminure principale, une marge, puis une lettrine. Le fond, lorsqu'il est en couleur est de préférence rouge avec des motifs dessinés en or mais aussi bleu ou or.
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