J'ai eu la chance d'aller au colloque de l'association Verre et Histoire de Rouen : Flacons, fioles et fiasques qui s'est déroulé du 4 au 6 avril 2013. J'ai eu envie de chercher ces petites ampoules sur les enluminures et que l'on trouve dans les textes, contenant notamment de la gomme arabique.
Saint Luc était le patron des peintres mais aussi celui des médecins, deux activités que le saint exerçait. Ce qui semble comme deux professions éloignées de nos jours, ne l’était sans doute pas au Moyen Age. Le médecin-apothicaire voire l’épicier avait dans son officine des médicaments, des drogues de toutes sortes. Parmi ces substances, se trouvaient des pigments pour la peinture. Ainsi dans les représentations de saint Luc peignant la Vierge, nous trouvons à la fois des ustensiles liés aux activités de médecine et de peinture. Parfois, il y a des pierres à broyer et des coquillages remplis de couleurs qui font clairement référence à l’activité de peinture du saint. Et dans certaines de ces scènes du peintre médiéval sous les traits de saint Luc, il n’est pas rare de trouver sur une étagère, des fioles, des pots et des boîtes qui font référence à l’activité de médecine du saint.
L’étagère du peintre et de l’écrivain recelant des fioles et des boîtes, renvoie à une activité en lien avec la médecine. Les réceptaires qui proposent des recettes de couleurs pour l’enluminure, la peinture sur bois, la peinture sur mur et des encres pour l’écriture des textes font souvent partie d’un ensemble de documents relatifs à la médecine et à la botanique. Et pour cause, les matériaux utilisés pour fabriquer les couleurs des peintres sont aussi ceux utilisés pour préparer les médicaments ! Cette intimité des matières premières et des deux professions, peintre et médecin-apothicaire peut donc se lire dans les sources écrites et iconographiques.
Les fioles de verre sont présentes dans les scènes d’évangélistes, d’auteurs ou de peintres. Si en Orient, elles font partie des outils professionnels du scribe, en Occident, cette acceptation visuelle est plus timide et concerne plus le XVe siècle. La fiole servait à contenir l’encre pour les travaux d’écriture ; on voit des liquides colorés à l’intérieur. Pour le peintre, ce sont des liants qui y sont conservés.
Les enluminures de manuscrits orientaux représentent volontiers saint Luc à ses travaux d’écriture avec des outils professionnels posés sur un meuble. On y voit une fiole de verre qui est, en Italie, le seul élément représenté à l'époque romane.
Saint
Luc, Constantinople, XIe siècle, BNF Coislin 31, folio 99v
Saint
Luc, Turquie, Xizan, surb gamaliêl, 2ème moitié du XIVe siècle,
BNF, manuscrit arménien 333 folio 124v
Saint
Luc, Bible du Panthéon XIIe siècle,
Biblioteca
Apostolica vaticana, REG. LAT 12958 folio 310v
Les figures d’écrivains représentés avec une fiole pour illustrer les travaux d’écriture ne semblent pas être un modèle que les enlumineurs occidentaux aient retenu au fil des siècles. La préférence va à la corne de bœuf dans laquelle on met l’encre. Là encore, on retrouve dans cet outil, un lien avec saint Luc ; c’est l’animal qui symbolise cet évangéliste. Plus tard, on trouvera l’encrier portatif relié par une cordelette au galimard, l’étui de plumes d’oie. Il sera l’outil privilégié de l’évangéliste Jean, représenté sur l’île de Patmos.
On retrouve à la fin du Moyen Age, des enluminures avec la fiole sur la table. Il s’agit d’enluminures de saint Marc, peint en Moldavie en 1429 et de saint Luc peint en France en 1470-1475.
Saint Marc, Evangiles
de Gavril, Moldavie (Roumanie), 1429,
Oxford, Bodleian library, Canon Gr. 122
folio 89v
Saint Luc, 1470-1475 BNF latin 920 folio 32v
C’est
encore dans un contexte de peinture, et plus précisément d’enluminure, que l’on
retrouve notre fiole de verre. Mais cette fois, c’est avec plusieurs
coquillages de couleurs que les fioles reposent à proximité de l’artiste.
Guillaume
des Ursins et son enlumineur, BNF latin 4915, folio 1
Deux
fioles de verre ou flacons contiennent de l’eau ou du liant (blanc d’œuf, cire,
miel, colle de poisson). Ces liants permettent à la peinture d’adhérer au
support avec des effets variables selon celui utilisé. (extrait
de l’exposition Jean Fouquet en ligne sur le site de la BNF)
On trouve encore une petite fiole dans un atelier de peintre du XVIe siècle. Le broyeur de couleurs verse le liquide qu'elle contient sur le pigment avec lequel la couleur est fabriquée. Dans une enluminure, on avait déjà rassemblées derrière le peintre, la pierre à broyer sur une table et une fiole sur une étagère.
Jan van der
Straet's 'Nova Reperta'', gravure, Anvers,
1580-1605, British museum
Saint Luc, Washington, Librairie du Congrès, ms
1533
Extrait de mon livre Le Vaisselier du peintre. Les contenants des couleurs médiévales.
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