Pour calligraphier, le scribe doit tracer des lignes qui guideront l'écriture des lettres. Cela s'appelle la réglure (Aujourd'hui, nous parlons de portée). Le copiste, à l'aide d'une règle, doit ainsi préparer la surface à écrire. Ces traits sont plus ou moins nombreux. Il est intéressant de voir deux représentations, l'une romane l'autre gothique, de ce travail.
Nous avons aussi interrogé notre corpus d'images et isolé une vingtaine d'enluminures où la page est représentée avec des traits simples horizontaux contre huit enluminures où la page est représentée avec des traits doubles horizontaux. Nous donnons quelques exemples.
- Des images de scribes réglant leur parchemin
Plus on se rapproche de notre époque moderne, plus il y a de réalisme dans les représentations. Ainsi, dans les deux images ci-dessous, les traits verticaux des marges sont tracés en plus des lignes horizontales sur les bi-feuillets. Mais visuellement, ce n'est pas du tout la même chose. Le réalisme est plus flagrant dans l'image plus proche de nous dans le temps. Le saint Mathieu, roman, propose des lignes horizontales bien espacées. Sa règle est très joliment décorée aux extrémités, rappelant la courbure de certaines pointes de canivets ; ce qu peut faire penser à une règle en métal. L'autre image, propose une règle longue dénuée d'ornement, elle est cependant de couleur jaune, peut-être en bois. L'instrument que tient saint Mathieu pour tracer les traits ne m'est pas expliqué ; on dirait une autre règle, mais les traits rougeâtres tracés laissent à penser que cet outil est imbibé d'une encre de cette couleur. Comment cela marche-t-il ? En fait, un moine de Saint-Gall écrivait en 900 que son évêque traçait la réglure de la manière suivante : "La ligne est marquée à la règle tenue droite, Linea Signatur cum regula recta tenetur" (cité dans Das schriftwesen im mittelalter de Wilhelm Wattenbach page 208 avec la référence suivante : Dümmler, St. Gall. Denkm. in den Mittheilungen d. Züricher Antiq. Ges. XII, 247). La règle pouvait donc servir à marquer les traits que l'on repassait ensuite en rose à la plume.nL'image aura sans doute synthétisé ces deux étapes en une seule. Dans le même Wattenbach (p.218), un outil pour graver la réglure est donné par Conrad de Mure au XIIIe siècle, c'est un petit bois appelé, ligniculus. La règle des Chartreux sert quant à elle à postis ad regulandum /afficher ? la réglure. En français, ce serait le terme emprintoir (Fabliau du Dit de la maaille, fin XIIIe siècle).
Saint Mathieu, XIIe siècle, Manchester, John Rylands university library, Rylands lat. ms 11 folio 14v
- Des images de scribes dont le support est réglé avec es lignes bien espacées
Saint Jean, Saint-Gall, IXe-Xe siècle, Munich, Bayerische staatsbibliothek Clm 22311 folio 221
Saint Luc, Milieu du XIIe siècle, (Sud-est de l'Allemagne, Oberrhein ?
Stuttgart, Württembergische landesbibliothek, Cod. bibl. fol.28 folio 80r
Saint Luc, Bible, 2nde moitié du XIIIe siècle, Cologne, Dombibliothek, Codex 2 folio 279v
- Des Images de scribes dont le support est réglé avec des lignes doubles
St Jean, Tours, IXe siècle, Londres, British library additional 11848 folio 166v
Saint Jean, 1020-1040, Düsseldorf-Gerresheim, Kath. Pfarrei St. Margareta, Codex o.S. (1) folio 212r
- Des images de scribes dont le support est réglé aux XIVe et XVe siècles
Saint Jérome, 1378-1383, Avignon, Avignon, Bibliothèque municipale 6733 folio 16
Jacques de Cessoles, Amberg 1458, Rome, Vatican, Biblioteca apostolica Pal.lat.961 folio 13v