En consultant la très impressionnante base de données sur les recettes de couleurs médiévales : >>Colour ConText, je suis tombée sur une recette de coloration de cornet en vert. Cela m'a interpellé car dans mon corpus de cornets à encre, j'ai six cornets vus entiers et de couleur verte.
Ainsi, le copiste embellissait le matériel, ses outils de travail. Embellir n'est pas le terme le plus approprié mais colorer est strictement le bon terme ! La couleur semble vraiment au coeur des préoccupations médiévales et présente partout ! Dans l'architecture, dans les vêtures, dans les livres, dans les plats, ... C'est une civilisation qui vit dans la couleur en permanence. Rien à voir avec nos habits et chaussures noirs, ... Heureusement, l'ordinateur est plein de couleurs, ouvre une fenêtre colorée sur le monde virtuel et renoue un peu avec ce lointain passé !
Pour revenir au cornet verte, la recette utilise judicieusement le métal du récipient dans lequel le cornet va baigner. Elle est issue d'un manuscrit conservé à Munich Bayerische Staatsbibliothek Clm 20174 ff. 168v - 210r : collection of art-technological recipes (colours, ink, painting, metallurgy) et datée des années 1463-1473.
De cornu viridi. Recipe acetum forte cum modico sale in pelui. et impone cornui per decem dies. illud aliquando vertendo et erit viride.
Cornet vert. Prendre du vinaigre fort avec un peu de sel que l'on met dans un bassin de métal [ici en cuivre]. Et poser dedans le cornet pendant 10 jours. A la fin, il tourne et devient vert.
La recette fait réagir de l'acide sur un métal, ici nécessairement en cuivre pour donner une sorte de vert-de-gris. C'est en utilisant le récipient, le bassin pelvis, que la couleur va prendre sur la corne.
<--- Voici à quoi ressemble ce bassin.
Les cornets à encre teints en vert se trouvent dans six enluminures : 2 au XIe siècle, 3 au XIIe siècle, 1 au XIIIe siècle.
Philosphes, Liber Rabani de Originibus rerum, 1022-1023, Abbaye du MontCassin, Biblioteca del monumento nazionale di Montecassino, Codex Casinensis 132
Saint Luc, Salzbourg, 2ème quart du XIe siècle, Paris BnF, Smith-Lessouëf 1 folio 8v°
Saint Jérôme, Abbaye du Mont-Saint-Michel, 1156-1157, Avranches BM 159 folio 4r°
Saint Ambroise, Signy, Abbaye Notre-Dame (Champagne), fin XIIe siècle, Charleville-Mézières 212 t.III folio 1
(je ne suis pas certaine que ces cornets soient en corne animale, je pencherai plutôt pour de la terre).
Saint Luc, Brabant, XIIe siècle, Paris, Bibliothèque de l'Arsenal 591 folio 118v°
Baruch, Paris, 3ème quart du XIIIe siècle, New York, Pierpont Morgan library M494 folio 436v°
Edit : Je viens de trouver une autre recette de coloration de la corne en vert dans "Secrets concernant les arts et métiers", tome 3 1791, p.84 :
Cela nous renseigne sur la nature du sel : il faut du sel amoniac. Et que le récipient doit être bouché.
Très intéressant en effet de savoir que les scribes teignaient leur cornet à encre. Est-ce purement ornemental (et du coup se pose la question de la valeur symbolique de cette couleur pour un cornet à encre) ou la réaction chimique par laquelle on obtient la couleur a-t-elle une incidence sur la qualité du récipient? sur l'encre qu'il contient? des pistes à creuser en tout cas, merci pour ce focus iconographique.
Rédigé par : Aurélie Houdebert | dimanche 29 mar 2015 à 14:05
Bonjour,
Je vous remercie pour votre commentaire. Dans ce beau corpus réuni, il y a des cornets de différentes couleurs : verts, rouges, marrons, métalliques (or), et d'autres que j'oublie certainement. Il faudrait que j'interroge ces images de nouveau ... Ce qui pourra être une piste intéressante pour mon livre sur l'Inventaire du copiste.
Pour répondre à vos questions, je pense que la partie ornementale est importante. En effet, comme dit dans l'article, le Moyen Age doit se penser en couleur. Et je suppose que les matériaux bruts ne devaient pas forcément faire partie de l'environnement du copiste (si l'on pense que même les plumes étaient peintes). Du moins, je le suppose ! Ainsi, les cornets à encre étaient teints, sans doute pour le plus grand plaisir des yeux. Peut-être aussi dans un souci d'esthétisme, lorsqu'un prince ou autre noble personnage venait à visiter le scriptorium. La comparaison peut sembler osée, mais on dit actuellement qu'une femme est coquette jusqu'au bout des ongles, ici, la coquetterie ou la beauté de l'acte d'écrire et son importance de la parole divine révélée serait visible jusque dans la couleur du cornet !
Quand à la qualité du récipient, elle doit en effet se voir modifiée au regard de la réaction du vinaigre sur le cuivre. Je serait enclin à penser que ces cornets teintés en vert, contenaient de l'encre verte faite avec du vert-de-gris. C'est cette couleur qui teinte le cornet, donc il devait aussi se trouver à l'intérieur du cornet. Quoi de plus naturel que d'utiliser alors une encre verte faite avec ce pigment !
Ce pigment s'obtient en suspendant des lames de cuivre par le bouchon d'un bocal. On met au fond du vinaigre fort, sans que les lames touchent le liquide. On enfuit le pot dans du fumier pendant six à sept mois. Après, on râcle ce qu'il y a sur les plaques, on fait sécher et c'est le vert-de-gris. Ça c'est pour ce que l'on appelle le Vert de Grèce (qui a donné son nom à vert-de-gris). D'autres qualités de vert-de-gris sont proposées dans les recettes. Ainsi, pour le vert de Rouen, c'est le même procédé, seulement on enduit les lames de cuivre de bon savon et on met dans un lieu chaud pendant quinze jours à un mois. Si on veut faire du vert salé, il faut enduire les lames de cuivre de miel et saupoudrer de sel calciné et mettre le récipient dans du fumier pendant quatre semaines.
Cela vaut pour la fabrication du pigments. Ce sont les recettes principales. Il en existe encore quelques unes.
Pour faire de l'encre verte à partir du pigment vert-de-gris, on peut le broyer avec du suc de rue et du bon vinaigre, puis le détremper avec de la gomme arabique à laquelle on a ajouté ce suc de rue et le vinaigre. Autre manière de faire l'encre verte : on met du vert-de-gris détrempé avec du miel et du vinaigre en quantité égale dans un vase de bronze, de cuivre ou de verre que l'on met dans du fumier pendant deux semaines. Puis on prend le récipient et on rejette les résidus et on écrit avec le liquide clair qui surnage.
Voilà ce que je peux dire sur ces cornets verts et leur contenu.
J'espère avoir répondu à vos questions ?
Bien cordialement
Claudine Brunon
Rédigé par : Claudine | dimanche 29 mar 2015 à 17:00
Bien qu'il y ai des recettes de coloration de la corne en rouge, bleu ou jaune-vert et d'autre tours de mains pour teindre encore en vert, il est aussi possible, comme me l'a indiqué le Dr Mark Clarke, que l'encre contenu dans la corne, colore la corne elle-même ! Mais le fait de décorer la corne n'est cependant pas étranger au copiste. Il peut peindre la corne avec des rayures (j'ai 2 exemples) ou bien l'orner de traits et points dorés. Il y a bien une volonté d'embellissement du cornet à encre.
Rédigé par : Claudine | lundi 30 mar 2015 à 11:26
Coucou Claudine,
Bravo pour cet article fort intéressant, cela donne envie de mettre encore plus de couleurs dans nos échoppes d'enlumineurs! Et merci pour le lien vers la base de données des recettes, c'est vraiment intéressant!
A bientôt
Mathilde
Rédigé par : Mathilde | samedi 04 avr 2015 à 12:27
Bonjour Mathilde,
Oui voilà de quoi colorer nos échoppes d'enlumineresses.
A bientôt
Claudine
Rédigé par : Claudine | samedi 02 mai 2015 à 18:28