Il y a, dans mon corpus (environ 600 images de copistes), une vingtaine de scribes que je qualifie d'alanguis. En effet, ils se reposent sur leur bras, main appuyée contre le visage, le coude reposant sur le pupitre, le siège, le genoux, ou bien encore dans le vide !
Aujourd'hui, j'ai sélectionné un type particulier : l'évangéliste alangui à la tête tournée vers son symbole.
Edit : Il serait mieux de qualifier ce type iconographique 'copiste écoutant' plutôt que 'copiste alangui' comme l'a très judicieusement suggéré Pr. Francis Newton.
Le premier exemple trouvé parmi mes images de copistes est une représentation de saint Marc daté de la seconde moitié du XIe siècle. L'intimité entre le lion et le saint n'est pas flagrante car l'animal est dans un compartiment bien séparé par un linteau et le drap replié. Quoi qu'il en soit, Marc regarde en haut de l'image, dans sa direction. Il est dans une position d'inspiration le bras droit replié, la main à demi-fermée et le coude posé sur la jambe droite, surélevée par rapport à la gauche, le pied droit prenant appui sur la pointe du gros orteil.
Saint Marc, Liège, 2ème moitié du XIe sicèle, Oxford, Bodleian library ms Douce 292 folio 69v°
Un siècle plus tard, dans le second quart du XIIe siècle, à Fulda, c'est saint Luc que l'on retrouve le corps alangui et le visage tourné vers son symbole. Le boeuf toutes ailes déployées, sort de la nef de l'église, tenant dans sa patte un phylactère vierge de toute écriture que Luc tient à l'autre extrémité de la main gauche. Notre évangéliste est à son aise bien que la posture entraine un torticolis. Notons que les jambes sont dans une position semblable à celle de saint Marc de l'image précédente. Mais ici, le bras droit ne repose pas sur la jambe droite du saint mais l'avant-bras est couché sur le pupitre qui est devant lui. Ainsi, l'enlumineur ou le responsable du cycle iconographique aura voulu montrer que l'acte d'écrire est interrompu durant ce moment d'intimité avec le boeuf ailé qui transmet à saint Luc la parole divine. Le livre ouvert ne peut être écrit car il y a dessus, à la place, le bras du saint. Le rideau délimite le lieu où est révélé le texte sacré, il est à la fois fermé (en haut) et ouvert car attaché aux colonnes de l'église.
Saint Luc, Fulda, dernier quart du XIIe siècle, Fulda, Hessische landesbbibliothek, Hs Aa.44 folio 69v°
Les trois exemples suivants datés du XIIIe siècle sont assez similaires, surtout les deux derniers saint Jean.
Le premier copiste de la série est saint Marc. A cette époque, son symbole n'est plus niché dans un fronton ou autre arcature mais il sort d'une nuée depuis le haut gauche de l'image. Cette fois-ci, le pupitre est placé à droite de l'image et le saint doit se retourner complètement pour regarder le lion. Celui-ci tient un phylactère sur lequel est écrit le nom du saint. Marc est pourtant représenté comme un copiste affairé aux travaux d'écriture puisqu'il a en main, plume et canivet. Devant lui, le pupitre avec le cornet à encre tenu dans la gueule d'un serpent (comme on le voit dans d'autres enluminures) lui sert timidement de point d'appui puisque c'est du bout du coude que le saint soutien son bras. D'ailleurs sa main gauche qui tient la plume qui vient d'être taillée (car il tient le canivet de la main droite, main qui agit) ne touche pas le visage mais suit la courbe du cou. Le bas du corps, les jambes, s'inspirent encore des modèles précédents. La jambe gauche (même côté du bras replié posé sur le pupitre) est surélevée par rapport à la droite.
Ici, l'acte d'écriture est en pause, mais pas seulement pendant que le saint s'inspire de son symbole ; aussi le temps qu'il taille sa plume. Cette activité ô combien technique et importante pour écrire correctement le texte est ici clairement signifié avec les outils du copiste. Une fois le copiste prêt à écrire, le lion sorti des nuées peut alors inspirer l'évangéliste Marc.
Saint Marc, Cloître d'Hohenwart (Allemagne), vers 1240, Munich, Bayerische Staatsbibliothek Cod. lat. 7384
Les deux autres images sont des saint Jean du XIIIe siècle, copiées l'une sur l'autre ou suivant un modèle commun qui pouvait circuler.
Le saint Jean de Preetz suit le modèle précédent, c'est à dire que le pupitre est peint sur la droite de l'image tandis que le saint Jean de Copenhague a le pupitre à gauche. Les deux évangélistes sont assis sur un même genre de siège dont le dos est en forme triangulaire surmonté d'une sphère où est posé l'aigle. Remarquons aussi d'autres similitudes. Les membres inférieurs, notamment le pied gauche qui est vu du dessous. Quant aux visages, ils sont tous deux barbus et légèrement dégarnis.
Dans l'image ci-dessous, l'aigle, bien que posé sur le siège, du côté terrestre, semble vouloir s'envoler vers le ciel à tire d'aile tout en tenant le phylactère où est écrit le début du prologue de l'évangile de Jean (In principio erat verbum et verbum ...). Ce morceau de parchemin fait le lien entre le divin et le terrestre, montrant bien que l'aigle inspire le saint. L'image en noir et blanc, semble pourtant indiquer que le saint tient de la main gauche un canivet dont on voit la lame courbe se détachant du phylactère blanc. Ici, comme sur l'image précédente, les outils du copiste sont bien montrés. La plume qui vient d'être taillée peut alors écrire ! Le cornet a encre est fiché dans le pupitre. Jean a le coude bien posé sur ce pupitre et sa main gauche bien posé contre sa tête. Le visage est tourné vers l'aigle en haut de l'image, au centre. Il commence à écrire son évangile.
Saint Jean, XIIIe siècle, Preetz, Adeliges Damenstift, folio 129r°
L'image ci-dessous de saint Jean est donc très proche de la précédente. Le bras droit est aussi tendu sur le pupitre mais ici, ce n'est pas la plume, qui est absente de l'image, que le saint tient, mais le canivet. Ce couteau est posé sur le livre comme à l'accoutumé des scènes où le copiste écrit son texte. Donc la plume qui n'a pas été taillée comme vu précédemment, est ici absente de l'image. La main droite dans laquelle elle devrait se trouver si le texte était entrain de s'écrire, ne l'a pas. Il y a ici un mélange de deux types iconographiques : le copiste alangui regardant son symbole et le copiste entrain d'écrire. Le coude repose sur le pupitre, le visage du saint est tourné vers le haut, vers l'aigle. Celui-ci prend bien appui sur le siège comme dans l'image précédente. Mais il est dans le même espace que Jean. Rien n'indique le divin si ce n'est lui-même. Les yeux de Jean semblent indiquer cette page vierge où est posé le coude tandis que l'aigle, toutes ailes déployées, regarde vers la droite de l'image. Ici pas de phylactère !
Saint Jean, Allemagne, c.1250, Copenhague, Kongelige bibliothek GKS 1.2° folio 106r°
Un dernier exemple iconographique, lui aussi daté du XIIIe siècle, représente saint Jean dans une attitude similaire. Sauf qu'ici, il ne s'agit pas d'un personnage barbu mais d'un jeune imberbe. Le pupitre est comme dans l'image précédente, à gauche de l'image. Le saint n'a pas d'instruments d'écriture dans les mains. La main gauche est tendue comme précédemment et le bras droit est replié, le coude posé sur l'autre page du bifolio, la main ouverte touchant la joue. Un cornet à encre est fichée dans le pupitre. Ici l'aigle sort des feuillages du médaillon sur le haut droit. Il est auréolé et les deux nimbes se touchent affirmant leur intimité.
Saint Jean, Bible d'Hambourg, vers 1255, Copenhague, Kongelige bibliothek GKS 4 2° vol.III folio 104r°
Les commentaires récents